Les femmes avaient-elles le droit d’être artistes ? La faible représentation d’œuvres d’artistes femmes dans l’histoire de l’art en dit long sur le sujet. Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, et tous les jours de l’année, découvrez quatre œuvres fondamentales de femmes artistes présentes dans les collections du musée. Toutefois, évitons de prouver par la réussite de quelques-unes l’égalité de carrière entre femmes et hommes qui est toujours à conquérir ! Focus.
Un parcours de visite en autonomie
Salle 12
Hélène Bertaux (1825-1909), Jeune Gaulois prisonnier, 1867

Ce marbre académique à l’esthétique néo-classique est l’un des premiers nus, ni allégorique, ni mythologique, exécuté par une femme. Hélène Bertaux, plus connue sous le nom de Madame Léon Bertaux, est une artiste engagée, porte-parole des femmes artistes de son époque. Elle est également l’une des rares sculptrices à exposer régulièrement au Salon. Elle obtient d’ailleurs sa première médaille au Salon de 1864 avec la version en plâtre de cette œuvre.
Jeune Gaulois prisonnier est une œuvre académique inspirée de l’époque gallo-romaine qui répond aux canons néoclassiques alors à la mode. Elle s’inscrit aussi dans les fondements « pré-romains » du mythe national développé sous le règne de Napoléon III, dont la volonté est de fédérer la population autour d’un passé commun.
Anecdote : elle signe d’abord ses œuvres sous le nom d’Héléna Allélit (nom de son premier mari, Augustin Allélit). Elle se sépare de son premier mari à une époque où le divorce est interdit. À partir de 1857, elle utilise le nom de Mme Léon Bertaux, son élève et compagnon. Il lui faut attendre la mort de son premier mari pour pouvoir épouser ce dernier. Contrairement à d’autres artistes, elle ne cherche pas à cacher sa véritable identité. Cette signature affirme sa qualité de femme respectable et souligne l’approbation de son activité par son conjoint.
Salle 22
Sonia Delaunay (1885-1979), Nu jaune, 1908

Sonia Delaunay, Le Nu jaune, 1908. © Pracusa S.A., photo : © Christian Jean/Agence photographique de la RMN-GP
Sara Elievna Stern naît en 1885 près d’Odessa, en Ukraine actuelle, et part s’installer à l’âge de 5 ans chez son oncle à Saint-Pétersbourg, en Russie. Elle prend alors son nom : Terk. À 19 ans, elle part pour l’Allemagne afin d’étudier la peinture à l’académie des beaux-arts de Karlsruhe. Deux ans plus tard, en 1906, elle arrive à Paris. Sonia Terk n’a aucun mal à intégrer le milieu de l’avant-garde artistique. Sa peinture est influencée par l’expressionnisme allemand, mais aussi par le synthétisme de Gauguin et les couleurs des fauves qu’elle découvre dès son arrivée à Paris.
Nu jaune. Si la pose adoptée sur cette huile sur toile est assez classique, le sujet, lui, est moderne. Pionnière de l’abstraction, Sonia Delaunay est influencée pour cette œuvre par les formes allongées et anguleuses des expressionnistes et les couleurs fauves. Un sujet traditionnel revisité et inspiré des odalisques (esclaves attachées au service des femmes d’un harem) mais détourné avec la figure féminine représentée avec des hanches anguleuses et une poitrine peu développée. La schématisation des formes expressionnistes transforme son visage en masque. Ces partis-pris annoncent déjà les créations abstraites, à la fois peintes et textiles, que l’artiste réalise en 1911.
Anecdote : les bas noirs, le maquillage outrancier, le nœud dans les cheveux évoquent davantage une prostituée attendant son client qu’une odalisque. Si le thème est courant depuis le 19e siècle, il fait toujours scandale en 1908, et rares sont les femmes qui le choisissent.
Cube, niveau -1
Joan Mitchell (1925-1992), Les Bleuets, 1973

Joan Mitchell, Les Bleuets, 1973. © Estate of Joan Mitchell
Artiste indépendante, qui participe au mouvement très masculin de l’expressionnisme abstrait, Joan Mitchell est aussi déterminée que compétitive. Elle fait figure d’exception parmi les artistes femmes de la période en exposant très vite en galerie. Sa peinture gestuelle, évocation du mouvement de la nature, engage le corps de l’artiste. « Je peins à partir de paysages que je porte en moi et des sensations que j’en retiens, que je transforme évidemment. Je ne pourrai certainement jamais refléter la nature à la façon d’un miroir. Je préfère peindre ce qu’elle a laissé en moi. » (1958)
Les Bleuets sont formés de trois panneaux au format panoramique déployant un paysage abstrait. Ici, des masses bleues flottent dans l’espace tandis que des tourbillons de touches rehaussées de blanc suggèrent le mouvement de la nature. Le titre renvoie au monde réel. Pourtant Joan Mitchell ne cherche pas à le représenter.
Anecdote : née à Chicago en 1925, Joan Mitchell s’installe à New York au début de sa carrière. Elle y rencontre Franz Kline et Willem De Kooning qui l’initient aux variantes de l’expressionnisme abstrait. Dans les années 1960 et alors que le marché de l’art s’est déplacé à New York, Joan Mitchell choisit de vivre en France, d’abord à Paris, puis à Vétheuil en Normandie où elle finira sa vie.
Cube, niveau -1
Annette Messager (1943), Accouchement, 1996

Annette Messager est, dès l’enfance, sensibilisée par son père, architecte et amateur d’art, à la peinture et à la photographie. Elle raconte avec humour que sa famille était abonnée à L’Oeil, une revue qu’elle imaginait entièrement dédiée à l’intérieur de cet organe ! Au début des années 1960, elle quitte Berck-sur-Mer pour Paris et étudie aux Arts décoratifs de 1962 à 1966.
Accouchement est une œuvre en 3 dimensions composée de deux peluches d’ours vidées de leur rembourrage. Leur peau déchirée, dépliée est présentée sur son envers. Les peluches sont écartelées contre le mur, telles des peaux tannées, et dessinent deux formes symétriques. Celle du haut, sombre, s’ouvre largement pour accoucher d’un nounours plus clair dont on reconnaît les pattes et la tête. Le malaise que peut susciter la sculpture provient du télescopage entre deux univers : le monde de l’enfance et l’étude anatomique.
Anecdote : dès les années 1970, Annette Messager est reconnue sur la scène internationale. Toutefois, elle précise : « À cette époque, je n’intéressais aucun galeriste français, tous me considéraient comme la petite amie de Christian Boltanski. De plus, on n’exposait pas de femme-artiste à l’exception de Niki de Saint Phalle et un peu de Gina Pane. Aux États-Unis, en Allemagne ou en Italie, c’était différent. »